LES VAISSEAUX DU COEUR : roman de Benoîte Groult

Voici un roman qui date un peu (1988), que beaucoup ont lu, et dont l'auteure est connue pour son "féminisme" (oui, je mets des guillemets… ) et la liberté de sa plume…
Je suis en train de découvrir, par petits bouts (oui, j'ai du retard, et en plus, pas le temps de lire un roman en entier… ) : ce que j'en ai lu me permet déjà une certaine analyse que je livre ici, car elle me semble aller à contre-courant de ce que j'ai lu au dos du livre, à savoir, je cite :
- "la plus fabuleuse des histoires d'amour" (Le Magazine littéraire) ;
- "tout simplement une superbe histoire d'amour" (Le Figaro Madame).
MON AVIS :
- Tout d'abord, je voudrais souligner une chose : c'est que le livre est bien écrit, mêlant histoire et analyse des sentiments. Je le souligne, car ce n'est pas une évidence, lorsqu'il s'agit d'un "best-seller" !
- Cependant, ce qui me semble central, dans ce roman, ce n'est pas la prétendue histoire d'amour qui s'y joue, mais bien plutôt toute la question des classes sociales, de ce clivage encore plus présent dans les années 50 (époque à laquelle se déroule l'histoire racontée… ). C'est même l'enjeu essentiel de ce livre, sans lequel l'histoire n'existerait pas…
- Par contre, d'amour vrai, du moins de la part du personnage de George, je n'en ai pas vu ; mais bien plutôt une lucidité au sujet d'une classe sociale confortable, la quitter n'est même pas mis en balance, pour George : il n'en est tout simplement pas question. Tandis que Gauvain, lui, est vu comme n'étant qu'un être inférieur (je cite : "Elle oublie qu'il n'est bon qu'à faire l'amour. Elle aurait dû rester à proximité d'un lit" ; "George consent à rire et à oublier l'inculture de Gauvain pour cette nuit. Elle l'autorise même à lui faire l'amour") ; ces citations sont extraites de la fin du livre, où le mépris de George pour une classe sociale inférieure transpire à chaque ligne…
GEORGE AIME-T-ELLE GAUVIN ?
Une question qui me rappelle celle d'un enseignant de faculté qui nous avait demandé si Titus aimait Bérénice….
J'apporte la réponse, non pas pour Titus et Bérénice, mais pour George et Gauvain :
- Si Gauvain aime George sans aimer sa classe sociale à elle, il est néanmoins prêt à se sacrifier pour y plonger, contre sa nature, contre sa famille… alors oui, Gauvain aime George, pour être prêt à tout cela et ensuite pouvoir l'épouser, elle.
- Tandis que si George paraît essentiellement plus lucide que Gauvain (elle est "cultivée", elle… elle "sait analyser"... ), il lui manque surtout l'ampleur du cœur, puisqu'elle refuse, ne cherchant que l'instant de plaisir qui se fond dans la logique de l'égoïsme pur. Car elle ne renoncerait pour rien au monde au confort de sa classe sociale. Et pressent qu'avec Gauvain, si elle l'épouse, elle perdra ce confort…
- Et puis, le fait de blesser Gauvain par son refus ne l'émeut pas. D'ailleurs, l'agacent déjà, je cite : "sa façon de couper le pain sur son pouce" et "la pauvreté de son vocabulaire qui jetait le doute sur la qualité de sa pensée"....
Peut-on aimer et prétendre être aussi méprisant.e ?
Peut-on également réduire la notion de femme libre à cet être féminin, tout empli de sa fatuité et de son égoïsme ? Est-ce vraiment cela, le "féminisme" ?
Ce livre pose bien toutes ces questions, peut-être et sans doute malgré lui, car si être "une femme libre", c'est se trouver incapable d'aimer, mais capable de mépriser un homme en le considérant comme un être inférieur, tout juste bon à faire l'amour, à cause de la classe sociale dont il est issu… Sérieusement, je pose la question : est-ce vraiment Gauvain qui vient d'un milieu social "inférieur" ? Ne serait-ce pas l'inverse, plutôt… ?
POUR CONCLURE :
Il va sans dire que la prétendue "histoire d'amour" dont nous parle la presse de l'époque, cette histoire-là n'existe pas dans ce livre.
Était-ce dit pour faire vendre ?
Dans tous les cas, si le livre interpelle, il désigne aussi bien malgré lui, ce qu'est "l'anti-amour" et "l'anti-féminisme"...