Je suis en exil parmi les miens, leurs fêtes étincelantes et sanglantes ne me sont que longue torture.
Je suis née là pourtant, dans ce monde de folie que je renie, d’où je tente de m’extraire. Cet univers emmuré derrière les barreaux du silence. Je cherche l’issue, la porte dorée d’une cage millénaire que des mains d’hommes, des doigts agiles, s’empressent à refermer.
****************
Ici, les nuits sont aussi froides que les jours sont brûlants.
La nuit tombe, interminablement... Ils se sont endormis, tous. Je me faufile dans la maison silencieuse, jette sur ma chevelure le long foulard noir, pour eux, symbole de "ma dignité". Je m’éclipse sans bruit, referme derrière moi le lourd battant de la porte en bois, me sauve comme une voleuse.
Sans un mot, j’inspire l’air tiédi, à présent presque froid et qui coule dans ma gorge comme un effroi. Car je sais comment se paye l’indignité...
Pourtant, je refuse de me soumettre à l’univers rétréci de l’hymen intact, je refuse le jour des noces barbares.
Ils sommeillent tous encore, mais ils se réveilleront bientôt...Tout à l’heure, peut-être, ou au petit matin, je sais qu’ils me chercheront, me poursuivront comme une proie et je serai à leur merci.
Pour oser violer leur loi immuable, je sais à quoi je m’expose, à quel opprobre je me condamne... bientôt peut-être mon corps dans la terre nue et froide, bientôt peut-être l’humus et la terreur...
***************
J’ai quitté la ville, le monde des vivants. J’ôte mes souliers, le sable crisse sous mes pieds nus. Le bruit de la mer m’appelle, c’est une clameur qui monte, qui enfle, qui gronde, qui m’invite à me fondre en elle. Elle sent l’odeur de la mort.
L’eau froide fouette mes chevilles, je m’enfonce un peu plus, encore, jusqu’à ce que mon corps hurle de terreur. Mes vêtements noirs flottent autour de moi, masse sombre. En un sursaut, je rejette ma tête hors de l’eau et je respire, à n’en plus finir, un air iodé, vivant, neuf.
Lentement, mes membres douloureux me poussent vers le rivage.
À la surface des eaux, l’étoffe noire qui couvrait mes cheveux, le voile glisse, peu à peu sombre, englouti. La surface de l’eau est un immense miroir, lisse, apaisé...