VOICI LE PREMIER CHAPITRE DE LA PETITE VIE DE SOLENE !

 

Mais tout d'abord, présentation du personnage :

 

Un peu déjantée, Solène se débat avec ses kilos superflus, son nouvel amoureux, sa mère un peu trop présente... Alors, il lui arrive de plonger dans quelques verres de mojito... Que voulez-vous, nul n'est parfait !

 

JUILLET 2016

 

 

CHAPITRE 1 : « CHANTILLY MON AMOUR… »

 

 

JOUR : samedi 23 juillet

METEO : plein soleil

HUMEUR : vient de passer du gris au rose

 

Le prêtre s’approche de Nathalie et Maxime, pose sur le couple un regard bienveillant et poursuit son discours entamé il y a presque une heure :

 

  • Et puisque vous avez choisi, chère Nathalie et cher Maxime, de vous unir sous le regard de Dieu, ici présent dans sa maison…

 

Comme si Dieu pouvait réellement se trouver dans une église, et pourquoi pas tranquillement assis juste à côté de ma mère, sait-on jamais ? Elle se tourne vers moi et murmure :

 

  • Ridicule… c’est vraiment ridicule, tu ne trouves pas, Solène ?

 

Je fais mine de n’avoir pas entendu, me concentre sur la cérémonie : Maxime tente de glisser l’anneau d’or à l’annulaire de Nathalie, mais ses doigts ont tellement enflé ces derniers temps que c’est peine perdue. Serrée à en suffoquer dans des mètres de tissu blanc qui forment une robe, Nathalie est gonflée comme une montgolfière prête à s’envoler. Enceinte de bientôt sept mois, elle ressemble à une gigantesque meringue recouverte de montagnes de crème chantilly.

Ma mère continue :

 

  • Je me demande pourquoi elle a choisi du blanc. Tout le monde sait très bien qu’elle n’est plus vierge avec son ventre énorme… et à son âge, en plus, c’est vraiment ridicule !

 

  • Maman, ça n’a plus rien à voir avec la virginité ! Tout le monde sait ça.

 

Je me demande une fois de plus dans quel monde parallèle vit ma mère. Une chose est sûre, elle est restée coincée quelque part entre l’Algérie de sa jeunesse et les années soixante. Et je ne crois pas que Dieu lui-même, ici présent en l’Eglise Saint-Jérôme, parvienne à la calmer un jour. J’ai de plus en plus froid, me dis que Dieu ne doit pas être bien frileux, c’est sans doute pour cette raison que les églises sont toujours glaciales, même en plein été. Par chance, le signal lumineux de mon portable indique qu’il est temps de m’éclipser discrètement pour préparer la haie d’honneur.

 

  • Tu n’oublies pas les grenouillères, Sol ! C’est super-important, m’a dit le frère de Nathalie hier soir, et j’avais l’impression qu’il s’agissait d’une question de vie ou de mort.

 

  • Ne t’inquiète pas, je n’oublie jamais les choses importantes, ai-je répondu avec hypocrisie avant de raccrocher le téléphone.

 

Je me faufile donc vers la sortie, munie d’un gros sac rempli de grenouillères roses et bleues.

 

Il est dix-sept heures, nous formons deux lignes serrées de part et d’autre de la porte de l’église qui s’ouvre. Nathalie et Maxime apparaissent, radieux sous un soleil de plomb, nous brandissons deux rangées de grenouillères en velours pastel et nous crions en chœur une chanson de naissance : « En t’attendant j’ai tricoté ta chambre de mes rêves… ». Là, je pense que Nathalie aura bientôt fini de rêver et de tricoter, entre les cris nocturnes et les biberons diurnes. Je lève les bras un peu plus haut, les pieds de la grenouillère bleu pâle pendouillent devant mes yeux pendant que j’étire mes lèvres en un sourire stupide pour camoufler ma gêne. Je me dis : « Courage, Sol… c’est l’un des derniers mariages tardifs ! Et comme on ne fête pas les divorces… ».

 

À dix-neuf heures, coincée devant le bar entre un gros type suant et une vieille femme à la tête décorée d’un chapeau violet à larges bord, serrée dans ma robe jaune citron, je regrette. Tout. D’avoir acheté cette robe affreuse et trop serrée uniquement parce que l’étiquette indiquait une taille 38. De ne pas avoir servi à Nathalie un prétexte pour me défiler. D’avoir confirmé que je restais pour la nuit. De ne pas avoir inventé un produit permettant de dissoudre ma mère pour quelques heures. De m’être mariée, d’avoir divorcé, de ne pas « être accompagnée »… Voilà, je suis coincée à Toulouse-Blagnac, le restaurant s’appelle « La Vie en Rose », plus ridicule, on ne peut pas.

Donc je chope un second verre de mojito, puis un troisième et je sais que ça risque de me coûter cher. Tant pis, je slalome au milieu des invités : la moitié sont des collègues parisiens de Maxime, les autres de la famille des mariés et il y a quelques amis d’enfance, dont moi. Voilà. Je ne connais ou ne reconnais personne, à part ma mère et celle de Nathalie, son frère et trois ou quatre visages vaguement familiers. De toutes façons, ce sont des couples, une marée de couples au milieu desquels, flanquée de ma mère, je fais figure d’anomalie ambulante.

 

Il est minuit, je ne sais même plus ce que j’ai mangé dans cette salle de mariage surchauffée et décorée de rose. J’étouffe entre tous ces duos et ma mère que je m’évertue à semer méthodiquement, je sors prendre l’air. La pergola est reposante, je commence enfin à me détendre. La musique est plus douce, presque caressante, et j’entends soudain :

 

  • Solène… Solène ? Je rêve ou c’est bien toi ?

 

Sur le coup, je n’ai qu’une envie : envoyer ma mère rôtir en enfer. En même temps, je m’étonne que sa voix ait mué aussi rapidement pour descendre dans les graves, et je marmonne : « Solène, faut arrêter les mojitos et le vin… ». Malgré mon état et la lumière tamisée, je m’aperçois soudain que la couture centrale de cette foutue robe jaune citron est en train de craquer et je crie : « Merde, merde, merde ! ». À cet instant, un type vient se poser à ma droite et murmure :

 

  • Ben dis donc… quel accueil !

 

Je lève les yeux, remarque qu’il est grand et que je le connais au moins un peu, au moins les yeux… Ah ouais, les yeux !

 

  • Alex !? Mais c’est pas vrai… j’y crois pas ! Alex, quoi !

 

Ma bouche est pâteuse, je sais que je pue l’alcool ingurgité pendant plusieurs heures et je me sens honteuse dans ma robe jaune citron qui moule mes bourrelets, le tissu sur le point de craquer. Alex, quoi… mon ancien amour de lycée, avant qu’il ne parte à Paris, Alex qui m’a tant fait vibrer, pleurer aussi. Alex, quoi ! Les souvenirs affluent comme une marée montante, et puis la vague se retire : reste la plage de sable blanc, les coquillages scintillants sous la lune. Même si je suis ivre, j’ai bien conscience que c’est un moment de pure magie. Je ne sais pas ce qu’il a fait à ses dents, mais son sourire est encore plus beau qu’avant. On se regarde, et je crois qu’on sait, dans l’instant, que quelque chose est reparti pour très longtemps. Un peu comme un chemin qu’on n’aurait jamais dû quitter, une route à deux. Une évidence.

 

Retour à l'accueil